Vêtu d’une chemise à carreaux et de lunettes, le directeur de l’institut de génomique de Shriners Children’s regarde son écran d’ordinateur. Une chaîne de lettres majuscules indéchiffrable se trouve dans le haut de l’écran. En dessous, des lignes et des barres de différentes largeurs et couleurs s’étirent horizontalement. Kamran Shazand, Ph. D., détendu mais attentif, est à la recherche de tendances. L’intelligence artificielle lui a donné un coup de main en isolant certaines possibilités, mais seule une personne possède les connaissances et le jugement nécessaires pour donner un sens à cette information. M. Shazand analyse un gène.
De l’autre côté du couloir, dans une pièce plus petite à l’éclairage plus chaleureux, Awtum Brashear Lewis, Ph. D., est assise devant deux écrans d’ordinateur : un installé de manière habituelle et l’autre, à la verticale. Ils sont remplis de lignes de code, un peu comme dans les films La Matrice; les tendances et leur signification s’y trouvent si les personnes qui les analysent savent comment les identifier. Ayant suivi une formation en biologie et en analyse informatique, la spécialiste en bio‑informatique examine les données du Research Data Warehouse de Shriners Children’s dans l’espoir d’établir des liens qui n’ont jamais été faits auparavant.
La pièce adjacente est un laboratoire offrant une bonne lumière naturelle où l’on entend le ronronnement des machines. Vêtue d’une chemise bordeaux de Shriners Children’s, d’un pantalon de toile et de gants en latex bleus, une femme est assise à un comptoir, entourée d’une panoplie de flacons en plastique transparent. Chacun contient un échantillon de salive de 2 millilitres. Un plateau contenant quelques petites fioles ouvertes se trouve devant elle. Avec ses longs cheveux noirs placés derrière ses oreilles, elle utilise un outil qui ressemble à une poire à dinde de très haute technologie. En suivant un rythme régulier, elle aspire une goutte de liquide, la libère dans un petit tube à essai, éjecte l’embout usagé de la poire à dinde dans la poubelle, installe un nouvel embout et répète le processus. Anxhela Gustafson, Ph. D., est en plein processus d’extraction manuelle de l’ADN à partir d’un échantillon de salive d’un patient ou d’un membre de la famille du patient de Shriners Children’s.
Ici, au siège social de l’institut de génomique de Shriners Children’s, situé sur le campus de l’Université de Floride du Sud à Tampa, ces trois personnes « font de la science ». Avec leurs collègues du réseau de soins de santé de Shriners Children’s, ils effectuent un travail qui changera le monde.
Ce n’est qu’une question de temps.
La vision
Shriners Children’s dispose de conditions uniques pour collecter et analyser les données génétiques liées aux maladies traitées dans ses établissements. Non seulement le réseau de soins de santé prend en charge un grand nombre de patients, mais Shriners Children’s a également une population de patients divers qui lui vient du monde entier.
L’objectif de la recherche génomique de Shriners Children’s est de découvrir les causes génétiques des maladies et des affections et d’utiliser ces connaissances pour créer des thérapies personnalisées. Cette approche génétique des soins est connue sous le nom de médecine de précision.
Transformer ces éprouvettes en un traitement pour les enfants est un long processus. L’analyse des échantillons génomiques prend à elle seule des milliers d’heures par an. Des années de tests sont nécessaires avant que les essais cliniques sur les patients puissent commencer. Si la médecine de précision est la destination finale, pour travailler dans le domaine de la recherche médicale, il faut aimer voyager.
Une petite leçon de science
Les brins d’ADN sont constitués de quatre unités chimiques, identifiées par les lettres A, T, G et C : les lettres majuscules situées au haut de l’écran de Kamran Shazand. Une fois ces unités mises bout à bout, elles constituent un gène. Un gène donne à nos cellules les directives pour fabriquer des protéines qui permettent à notre corps de fonctionner. Le génome est l’ensemble de l’ADN qui est propre à chaque personne.
Il arrive que notre code génétique fasse des erreurs. Par exemple, il peut mélanger les unités chimiques en plaçant un T à la place d’un G, ou insérer une unité supplémentaire là où elle n’a pas sa place, notamment en transformant une séquence qui devrait être GCT en GCCT. Parfois, ces erreurs n’ont que peu ou pas de conséquences sur notre santé. D’autres fois, elles peuvent menacer la vie de la personne concernée ou être la cause d’une maladie qui change une vie. Voilà les gènes ciblés par la recherche de Shriners Children’s.
Les avantages pour les patients
Les travaux de l’institut de génomique se répartissent en deux catégories. La première consiste à constituer la base de données, c’est‑à‑dire à collecter des échantillons génétiques et à effectuer le séquençage. L’autre consiste à utiliser les données pour étudier les causes génétiques d’affections spécifiques.
Si certaines affections sont causées par la modification d’un seul point du génome, ce n’est pas le cas de la plupart d’entre elles. Cependant, les changements se produisent souvent dans une zone similaire, appelée la voie. En identifiant les voies et en les mettant en corrélation avec les symptômes, les scientifiques créent des données que les cliniciens peuvent utiliser.
Prenons l’exemple de la scoliose idiopathique. Un médecin peut avoir deux patients dont la colonne vertébrale est similaire, mais qui réagissent très différemment au même traitement. Les chercheurs en génétique s’efforcent d’identifier les différentes voies associées à la scoliose. À l’avenir, nous pensons que les médecins pourront effectuer le séquençage des gènes des deux patients, localiser les voies affectées et sélectionner des traitements différents et appropriés pour chacun des deux patients en fonction de la cause de leur scoliose. Voilà la médecine de précision.
Shriners Children’s mène actuellement des projets de recherche sur dix maladies, dont la scoliose, la paralysie cérébrale, l’arthrogrypose, le pied bot et la fissure labiale et palatine, et prévoit d’inclure d’autres maladies à ces projets.
Comment nous y parvenons
Le réseau de soins de santé travaille au séquençage de 15 000 génomes. Cela signifie qu’il faut collecter et traiter les échantillons de 15 000 patients des Shriners Children’s et des membres de leur famille. Les patients donnent leur échantillon lors d’une visite à leur établissement Shriners Children’s ou à une clinique mobile, en fournissant 2 millilitres de salive dans un flacon stérile. Uniquement le sexe du donneur, son état de santé et ses symptômes cliniques sont écrits sur les étiquettes des échantillons avant qu’ils ne soient envoyés au laboratoire de Tampa.
C’est dans ce laboratoire qu’ils passent par un processus élaboré pour en extraire l’ADN et les préparer au séquençage. Le laboratoire a récemment fait l’acquisition des dernières technologies de séquençage. Auparavant, la machine utilisée pouvait traiter 48 échantillons en trois jours. La nouvelle machine peut pratiquement doubler ce rendement.
Le séquenceur nous permet de transformer la salive en une chaîne de 6,4 milliards de lettres. L’analyse informatique, l’intelligence artificielle et le jugement humain sont nécessaires pour organiser les données sous des formes permettant d’obtenir des informations. Voilà en quoi consiste la bio‑informatique.
Ce n’est qu’à partir de ce moment que les chercheurs peuvent passer les gènes au peigne fin pour y trouver des indices de problèmes médicaux. Kamran Shazand se charge de l’essentiel de cette tâche, mais Anxhela Gustafson, Awtum Brashear Lewis et le bio‑informaticien principal Andrew Quitadamo, Ph. D., basé en Caroline du Nord, l’aident quand ils le peuvent. Lorsqu’un lien est établi entre une séquence génétique et un trouble, il est marqué afin d’être soumis à un examen complémentaire. L’analyse d’un génome nécessite une journée entière de travail. Avec 500 échantillons supplémentaires, il reste encore beaucoup de travail à faire.
L’attente en vaut la peine
Kamran Shazand a consacré sa carrière et sa vie à la recherche. « À Shriners Children’s, dit‑il, nous voulons participer à l’effort international de lutte contre les maladies pédiatriques rares. C’est ce qui nous motive. »
Toutefois, qu’est‑ce qui le motive à travailler si dur, sachant que les résultats tangibles ne seront pas visibles de son vivant? Son premier petit‑enfant est né en juin.
« J’ai la plus belle mission, lance‑t‑il, l’instinct paternel en moi est à l’origine de cette recherche. »
Peut‑être le travail d’aujourd’hui profitera‑t‑il à ses petits‑enfants, ou aux petits‑enfants de ses petits‑enfants?
« Je suis certain que ce sera le cas, dit‑il, ce n’est qu’une question de temps. »
Pour visionner une vidéo sur les travaux de l’institut, visitez le bit.ly/ GenomicsVideo.